Prisons camerounaises : et si nous transformions nos cellules en champs d’avenir ?

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Prisons camerounaises : et si nous transformions nos cellules en champs d’avenir ?

Introduction – Un paradoxe qui me hante

Chaque fois que je traverse une route cabossée, chaque fois que j’entends un agriculteur se plaindre de manquer de bras pour cultiver son champ, chaque fois que je vois nos quartiers crouler sous les ordures faute d’un système d’entretien efficace, une question brûlante me revient :

comment est-il possible que nous manquions autant de main-d’œuvre alors que nos prisons débordent de détenus qui, jour après jour, ne font rien d’autre qu’attendre, enfermés, aux frais du contribuable ?

Le Cameroun compte aujourd’hui près de 30 000 détenus pour une capacité carcérale qui dépasse à peine 17 000 places. Ce chiffre, au-delà de la statistique, traduit une réalité insoutenable : des cellules bondées, des conditions de vie inhumaines, des tensions permanentes, et une charge financière énorme pour l’État et donc pour nous, citoyens. Ces milliers de personnes vivent, mangent, dorment et consomment l’argent public sans rien produire pour la collectivité.

Et pourtant, notre pays a besoin de bras pour réparer ses routes rurales, pour reboiser ses forêts dégradées, pour cultiver ses vastes étendues de terres inexploitées, pour nettoyer ses villes, pour construire des infrastructures de base.
Alors pourquoi ne pas imaginer une autre voie, une voie qui respecte la dignité des prisonniers tout en permettant à la société de bénéficier de leur énergie ?

Un constat douloureux – Le cercle vicieux de l’inaction

J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, de visiter la prison centrale de Douala. Ce que j’y ai vu m’a marqué à vie. Des centaines d’hommes entassés dans une cellule prévue pour cinquante. Des visages fatigués, résignés, parfois hostiles. Des jeunes, à peine sortis de l’adolescence, côtoyant des criminels aguerris. Une promiscuité qui nourrit la violence et détruit tout espoir de réinsertion.

J’ai pensé à une chose très simple :
que faisons-nous réellement de ces êtres humains ?
Les enfermer, les nourrir, attendre qu’ils sortent, souvent plus endurcis qu’à leur entrée ?
Et ensuite, les voir récidiver, faute d’avoir trouvé une nouvelle voie ?

Notre système carcéral actuel, s’il peut punir, ne prépare pas à guérir ni à reconstruire. Or, toute société qui se contente de punir sans offrir d’alternative finit par nourrir le mal qu’elle prétend combattre.

Et si nous repensions la prison ?

Je crois profondément qu’il existe une autre manière de gérer nos prisons. Une manière plus humaine, plus pragmatique, plus africaine aussi.

Pourquoi ne pas mettre en place des programmes de réinsertion sociale par le travail d’intérêt collectif, strictement encadrés par la loi et la justice ?

Imaginez…
– Des jeunes délinquants affectés à des chantiers de reboisement, plantant des arbres qui demain protégeront nos sols et nos rivières.
– Des prisonniers condamnés pour des délits mineurs travaillant à l’entretien des routes rurales, permettant aux paysans d’acheminer leurs récoltes vers les marchés.
– Des détenus participant à des projets agricoles, cultivant le maïs, le manioc, le riz ou les légumes, afin de nourrir eux-mêmes les prisons et même de contribuer à l’autosuffisance alimentaire nationale.
– Des équipes de prisonniers encadrés qui assurent le nettoyage de nos villes, redonnant fierté et santé publique à nos quartiers.

Bien sûr, cela exige un cadre strict, une organisation, une supervision, et surtout un respect absolu de la dignité humaine. Mais n’est-ce pas là une piste de réflexion crédible, réaliste, et bénéfique pour tous ?

Les bénéfices attendus – Une société qui gagne à tous les coups

  1. Réduction de la charge publique

Aujourd’hui, les prisons représentent un gouffre financier. L’État dépense pour nourrir, soigner et surveiller des milliers de personnes inactives. Si ces détenus travaillaient dans des programmes utiles, non seulement ils pourraient produire une partie de leur subsistance, mais ils pourraient aussi générer des ressources pour la collectivité.

  1. Réinsertion sociale réelle

Le travail n’est pas seulement une activité économique. C’est une école de discipline, de responsabilité, de dignité retrouvée. Un détenu qui a appris à se lever chaque matin pour accomplir une tâche utile revient dans la société avec une autre image de lui-même : celle de quelqu’un qui peut contribuer, et non seulement détruire.

  1. Développement des infrastructures

Routes rurales, barrages agricoles, assainissement des quartiers, programmes de reboisement : tous ces chantiers nécessitent de la main-d’œuvre. Or, nous avons des milliers de bras disponibles, que nous laissons dormir entre quatre murs.

  1. Justice restaurative

Ces programmes auraient aussi une valeur symbolique : permettre aux détenus de « rendre » quelque chose à la société qu’ils ont offensée. C’est une manière de réparer, non seulement leur faute, mais aussi le tissu social.

Un cadre éthique et juridique clair

Certains pourraient s’inquiéter : ne risquons-nous pas de tomber dans une forme d’esclavage moderne ?
Je comprends cette crainte. Elle est légitime.

C’est pourquoi ces programmes devraient être conçus avec des garde-fous solides :
– Ils doivent être volontaires et encadrés par des juges.
– Ils doivent respecter la dignité humaine : pas de travaux dégradants, pas de traitements humiliants.


Ils doivent être rémunérés symboliquement, même modestement, pour que le détenu sente que son travail a une valeur.
– Ils doivent être accompagnés de formations : apprendre l’agriculture moderne, la maçonnerie, la menuiserie, la mécanique, l’entretien routier.
– Ils doivent être surveillés par des experts (agronomes, ingénieurs, éducateurs, psychologues).

En clair, il ne s’agit pas de forcer les prisonniers à travailler comme des esclaves. Il s’agit de les impliquer dans une démarche qui leur permet de purger leur peine tout en préparant leur avenir.

Une interpellation aux autorités et aux acteurs publics

Je m’adresse ici directement :
Au Ministère de la Justice, qui peut piloter une réforme légale ouvrant la voie à ces programmes.
Au Ministère de l’Agriculture, qui pourrait bénéficier de cette main-d’œuvre pour ses projets de modernisation rurale.
Au Ministère des Travaux Publics, qui cherche chaque année des moyens pour entretenir des milliers de kilomètres de routes.
Aux collectivités locales, qui souffrent du manque de moyens pour gérer l’assainissement, la propreté, la voirie.
Aux juges et magistrats, qui peuvent orienter les peines vers des travaux d’intérêt collectif encadrés.

Ne restons pas prisonniers de notre propre inaction. Le Cameroun a besoin de solutions concrètes, courageuses, innovantes, et adaptées à son contexte.

Une vision concrète – Comment démarrer ?

Je propose une démarche en trois étapes :

  1. Expérimentation pilote : choisir une prison, par exemple Douala ou Bafoussam, et lancer un programme limité de 200 détenus affectés à l’agriculture encadrée.
  2. Évaluation : mesurer les résultats sur 12 mois : coûts réduits, volume de production agricole, impact sur la discipline des détenus.
  3. Extension nationale : si les résultats sont positifs, étendre progressivement à d’autres prisons et à d’autres types de chantiers.

Conclusion – Et si nous osions agir ?

Je ne suis pas naïf. Je sais que cette idée bouscule les habitudes, qu’elle demande du courage politique, de la volonté administrative, et une coopération interinstitutionnelle rare dans notre pays. Mais je crois aussi que le Cameroun a tout à gagner à transformer ses prisons en laboratoires de réinsertion et de développement.

La prison ne doit pas être seulement un lieu où l’on punit. Elle doit devenir un lieu où l’on répare, où l’on apprend, où l’on reconstruit.

J’appelle donc le gouvernement, les parlementaires, les juges, les ministres, les maires, les directeurs de prison, et même les citoyens à ouvrir ce débat. Car il en va de notre avenir collectif.

Et si demain, en traversant nos campagnes, nous pouvions voir des détenus, encadrés, planter des champs, construire des routes, nettoyer des quartiers, reboiser nos collines ?
Et si demain, nos prisons cessaient d’être des gouffres financiers pour devenir des chantiers d’espérance ?
Et si demain, au lieu de sortir de prison les mains vides, nos compatriotes détenus en sortaient avec une expérience, une formation, une dignité retrouvée ?

Le choix est entre nos mains.
Soit nous restons immobiles. Soit nous décidons d’agir.

Moi, j’ai choisi.
Et vous ?

Yannick KOUNGA

PDG AFRICA VENTURE GROUP

Yannick KOUNGA est un entrepreneur et également expert en gestion des risques, certifié par plusieurs institutions professionnelles américaines, et Fellow de l’International Institute of Risk & Compliance Professional (IARCP). Titulaire d’un Master en Comptabilité et Finance (Université de Douala) et d’un MBA en Finance (University of Wales, UK), il a poursuivi des études complémentaires aux universités du Michigan, de Californie et de Stanford, ainsi qu’un programme sur l’entrepreneuriat innovant à l’Université du Maryland (USA) et à l’ESSEC (Paris).

Membre actif de nombreuses associations professionnelles (IMA, IFM, OCEG, ACFE, ISACA, IIA…), il contribue également à des initiatives communautaires et éducatives, notamment comme mentor et conférencier auprès des jeunes entrepreneurs africains. Polyglotte ayant vécu dans 16 pays, il encourage une Afrique responsable, innovante et audacieuse.

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