Défis des Africains francophones dans les projets collectifs – analyse et solutions

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Défis des Africains francophones dans les projets collectifs – analyse et solutions

Défis des Africains
francophones dans les projets collectifs – analyse et solutions

 

Introduction

Dans le monde du travail, de plus en plus d’initiatives relient la diaspora africaine à des projets collectifs au service de leur pays d’origine. Malgré cette volonté de coopérer, les dynamiques de groupe restent fortement marquées par l’héritage culturel. Les Africains provenant d’un espace francophone, comme le Cameroun ou le Sénégal, doivent souvent articuler des façons de travailler héritées de cultures traditionnelles (relations hiérarchiques fortes, respect des aînés, communication indirecte) avec des méthodes anglo‑saxonnes plus directes et individualistes. Le problème n’est pas de manquer de compétences – des professionnels comme Samuel SAFO TCHOFO , ancien top manager de Schlumberger, ont formé des milliers d’ingénieurs de 50 nationalités différentes et observent des talents extraordinaires chez les Africains francophones – mais d’avoir des repères culturels différents qui rendent la collaboration complexe. Cet article expose ces défis, les compare avec les dynamiques observées chez les Européens et les Américains, puis propose des solutions concrètes pour faciliter la réussite collective.

1. Origines culturelles des défis

1.1 Fort respect de la hiérarchie et du groupe

Dans de nombreuses sociétés sub-sahara‑africaines, la hiérarchie et l’appartenance au groupe ont une valeur élevée. Une analyse des dimensions culturelles de Hofstede indique que les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale affichent des scores élevés de distance hiérarchique et d’évitement de l’incertitude, créant des sociétés fortement réglementées où les inégalités de pouvoir sont acceptées et où les règles servent à réduire l’incertitude[1]. Les cultures à forte distance hiérarchique consolident un ordre pyramidal : l’autorité est respectée, les décisions viennent du sommet et les contestations directes sont mal perçues. Cette logique se retrouve dans les entreprises camerounaises : un guide d’entretien souligne que les organisations opèrent selon un chaîne de commandement claire ; l’ancienneté et l’âge imposent le respect ; on s’adresse aux supérieurs par des titres formels et l’on évite de couper la parole aux personnes plus âgées[2]. Les critiques sont formulées indirectement (« Je vous propose… ») pour ne pas déstabiliser l’harmonie du groupe[3]

1.2 Collectivisme et recherche du consensus

Le même guide rappelle que le monde professionnel camerounais « honore la décision collective » ; présenter des idées de manière diplomatique est jugé plus efficace qu’affirmer une opinion tranchée[3]. Cette attitude s’explique par un faible indice d’individualisme : les sociétés africaines sont collectivistes, valorisent les liens étroits entre individus et l’obligation de soutenir les membres du groupe[4]. Les recherches du cabinet Morgan Philips indiquent qu’en Afrique les cultures partagent des liens communautaires forts et un respect des aînés[5]. Ainsi, contredire un supérieur ou exprimer un désaccord frontal peut être interprété comme une insubordination et mettre en péril la cohésion sociale.

1.3 Communication indirecte et contexte élevé

Les anthropologues rappellent que l’Afrique fait partie des cultures dites à « contexte élevé » : la communication y repose sur les gestes, les silences et le non‑dit. Le manuel d’interculturalité de Hall décrit que, dans ces cultures, « le contexte physique du message compte énormément » ; les interlocuteurs prennent soin de saisir les indices implicites, et le langage corporel peut être plus important que les mots[6]. À l’inverse, les cultures nord‑américaines et d’Europe du Nord sont à contexte faible ; les messages sont explicites, directs et visent à éviter toute ambiguïté[7]. Le choc entre ces modes de communication peut générer des malentendus : des interlocuteurs africains peuvent interpréter la franchise américaine comme une brusquerie tandis que les Européens, peu habitués à lire le non‑dit, perçoivent un manque de transparence.

1.4 Rapports au temps et à la tâche

Hall souligne une autre différence : les cultures polychrones, fréquentes en Amérique latine, au Moyen‑Orient et en Afrique, considèrent le temps comme fluide et donnent priorité aux relations ; on peut traiter plusieurs tâches en parallèle et arriver en retard n’est pas perçu comme une offense[8]. À l’inverse, les cultures monochrones d’Amérique du Nord ou d’Europe du Nord respectent des horaires stricts ; une réunion qui commence à 8 h doit commencer à 8 h et se termine à l’heure prévue[9]. Cette divergence explique pourquoi certaines équipes francophones ont du mal à respecter des échéances serrées ou à se coordonner avec des partenaires occidentaux.

1.5 Multilinguisme et barrières linguistiques

Au Cameroun, la coexistence du français et de l’anglais complique encore la coopération. Un guide d’entretien rappelle que les entretiens ou réunions basculent volontiers d’une langue à l’autre, et que la capacité de code‑switcher est un atout déterminant[10]. Les barrières linguistiques, combinées à des accents différents, augmentent les risques de malentendu. La situation se répète dans les équipes multiculturelles : le blog Reward Gateway explique qu’un des principaux défis consiste à choisir une langue commune et à instaurer des programmes d’apprentissage pour réduire les obstacles[11].

2. Manifestations concrètes dans les projets collectifs

Fort de son expérience à Schlumberger, Sam Saffo Samuel décrit comment ces traits culturels se traduisent dans les groupes. Ayant dirigé un centre de formation à Clamart (France) qui accueillait des milliers d’ingénieurs de plus de 50 nationalités, il a observé que les ingénieurs africains francophones :

  • hésitent à contredire les décisions d’un responsable européen même si elles sont techniquement discutables ;
  • privilégient des discussions informelles en petits groupes pour rechercher un consensus, ce qui rallonge la prise de décision ;
  • ont du mal à prendre la parole lors de réunions plénières où la parole est monopolisée par des personnalités assertives ;
  • apportent une forte solidarité et un sens aigu du collectif, mais se sentent souvent frustrés par l’individualisme occidental.

Ces constats rejoignent les analyses théoriques : dans les équipes mixtes, les écarts de style de management sont sources de conflits. La plateforme Workforce Africa signale que les variations de style de travail, d’éthique et de management peuvent mener à des incompréhensions et des conflits[12]. Les différences dans la communication (directe vs indirecte) et la gestion du temps provoquent des écarts dans les attentes sur les délais et la qualité du travail[13]. Les membres des cultures occidentales, habitués à la confrontation ouverte, peuvent percevoir le silence ou l’attente du consensus comme un manque d’engagement. À l’inverse, les Africains francophones peuvent ressentir la confrontation comme une agression qui met en péril la relation.

3. Comparaison avec les dynamiques européennes et américaines

Pour mieux comprendre les écarts, il est utile de comparer les pratiques dominantes :

Aspect

Pratiques africaines francophones

Pratiques européennes/américaines

Hiérarchie et autorité

Respect fort de la hiérarchie ; décisions centralisées ; on s’adresse aux supérieurs par titres formels[2].

Structures plus plates ; droit de contester ; tutoiement courant.

Communication

High‑context : messages implicites, importance du non‑verbal[6].

Low‑context : communication directe et explicite ; le contenu prime sur la forme[7].

Décision

Recherche du consensus ; prudence dans l’expression d’un désaccord[3].

Décisions rapides, parfois individuelles ; valorisation du débat ouvert.

Rapport au temps

Polychrone ; flexibilité des horaires ; priorité aux relations[8].

Monochrone ; respect strict des calendriers et des échéances[9].

Langues

Bilinguisme français/anglais ; code‑switching fréquent[10].

Utilisation d’une langue dominante (anglais) ; accent sur la précision terminologique.

Respect des aînés

Forte déférence envers les seniors et les dirigeants[5].

Moins d’emphase sur l’âge ; valeur accordée aux compétences et à la performance.

Cette comparaison montre que les différences ne constituent pas des défauts, mais résultent de visions du monde distinctes. La clé est d’en prendre conscience et de trouver des stratégies permettant de valoriser les apports de chacun.

4. Solutions pratiques pour surmonter les obstacles

4.1 Développer la conscience culturelle et la communication

  • Former les équipes à l’interculturel : les programmes de diversité et de formation interculturelle permettent de reconnaître les styles de communication, les valeurs et les attentes des différentes cultures. Workforce Africa recommande d’offrir des formations sur la diversité pour améliorer la compréhension et les interactions interculturelles[14].

 

  • Instaurer des règles de communication partagées : définir une langue de travail commune et encourager l’apprentissage mutuel. Reward Gateway conseille d’établir un programme d’échange linguistique ou de former les collaborateurs aux principales langues utilisées[11]. L’encouragement à demander des précisions et à reformuler doit être normalisé, sans crainte du ridicule[15].

 

  • Valoriser la communication claire et directe sans brutalité : pour éviter les malentendus, les Africains francophones peuvent s’entraîner à formuler leurs idées plus directement ; les Occidentaux doivent apprendre à lire les messages implicites et à décoder les silences. Les réunions devraient comporter des tours de parole pour garantir que chacun puisse s’exprimer, même les personnalités les plus réservées.

4.2 Adapter le leadership et les processus

  • Pratiquer le leadership inclusif : les dirigeants de projets doivent reconnaître que les attitudes envers l’autorité varient. Ils doivent encourager la participation de tous et faire preuve de patience et d’empathie ; Workforce Africa rappelle que la compréhension des styles de travail de chaque membre et l’adaptabilité sont essentielles[16].

 

  • Définir des structures de décision hybrides : combiner le besoin de consensus des cultures africaines avec l’efficacité des méthodes occidentales. Par exemple, organiser des séances de discussion en petits groupes pour recueillir les avis, puis désigner un groupe restreint chargé de prendre une décision rapide sur la base des contributions. L’objectif est de préserver la légitimité du processus tout en respectant les délais.
  • Clarifier les attentes en matière de temps et de livrables : sensibiliser les équipes aux différences entre les cultures polychrones et monochrones. Des échéanciers négociés collectivement et des rappels réguliers peuvent aider à aligner les attentes et à éviter les retards.

4.3 Renforcer la cohésion et la confiance

  • Organiser des activités de team‑building interculturel : Workforce Africa recommande des jeux et icebreakers intentionnels pour renforcer les liens personnels[17]. Cela favorise l’empathie et réduit la méfiance envers les membres issus d’autres cultures.

 

  • Encourager l’ouverture et le respect mutuel : l’article de Workforce Africa souligne l’importance d’embrasser l’ouverture d’esprit, de pratiquer la communication claire, d’exercer la patience et de demander du feedback[18]. Ces attitudes doivent être modélisées par les leaders.

 

  • Mettre en place un mentorat interculturel : associer des professionnels expérimentés issus de cultures différentes (par exemple, des expatriés européens et des ingénieurs africains) afin de faciliter le partage des codes et des pratiques professionnelles.

4.4 Outils et organisation

  • Utiliser des outils de gestion de projet collaboratifs (Trello, Slack, Asana) pour documenter les décisions, assigner des tâches et suivre l’avancement ; cela aide à compenser la communication orale et à instaurer de la transparence[19].
  • Planifier des réunions hybrides avec ordre du jour clair et un modérateur qui surveille la participation, recueille les contributions et résume les décisions. Privilégier des comptes rendus écrits (en français et/ou en anglais) pour atténuer l’effet du contexte élevé.
  • Créer des espaces d’apprentissage linguistique, par exemple en instaurant des “déjeuners linguistiques” où l’on s’exerce à communiquer dans une langue secondaire.

Conclusion

L’expérience de Sam Saffo Samuel rappelle que les difficultés rencontrées par les Africains francophones dans les projets collectifs ne proviennent pas d’un déficit de compétences, mais d’un décalage culturel. Les sociétés africaines valorisent la hiérarchie, la communauté et la communication implicite ; les sociétés européennes et américaines mettent l’accent sur l’individualisme, la franchise et la gestion serrée du temps. Ces écarts peuvent freiner la collaboration si l’on n’en tient pas compte. Mais ils constituent aussi une richesse, apportant solidarité, loyauté et sens du collectif. En développant une conscience interculturelle, en adaptant les modes de communication et de décision, et en investissant dans la formation linguistique et la cohésion d’équipe, il est possible de transformer ces différences en atouts. La diaspora africaine pourra ainsi mobiliser toute son énergie créative pour réussir les projets collectifs qu’elle initie, qu’il s’agisse d’un livre blanc sur la diaspora ou de programmes entrepreneuriaux.

[1] [4] West Africa – West African Geert Hofstede Cultural Dimensions Explained

 

https://internationalbusinesscenter.org/geert-hofstede/hofstede_west_africa.shtml

 

[2] [3] [10] Cameroon Job Interview Guide: Cultural Tips & Prep

 

https://resumeflex.com/how-to-prepare-for-cameroon-job-interview-cultural-guide/

 

[5]  The impact of cultures on leadership | Morgan Philips

 

https://insights.morganphilips.com/en/the-impact-of-cultures-on-leadership

 

[6] [7] [8] [9] Cultural Dimensions – Hall, Verbal and Nonverbal – SPC-101 Kirkwood

 

https://kirkwood.pressbooks.pub/emcworthy/chapter/cultural-dimensions/

 

[11] [15] 8 Ways to Manage a Multicultural Team | Reward Gateway

 

https://www.rewardgateway.com/blog/managing-a-multicultural-team

 

[12] [13] [14] [16] [17] [18] [19] Cultural Barriers: How to Manage Cross Cultural Remote Teams in Africa – Workforce Africa | The Preferred HR Partner for Africa

 

https://workforceafrica.com/managing-cross-cultural-remote-teams/

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